Chapitre 1 : Une science ancrée dans son territoire
Lorsque la Reichsuniversität est inaugurée en 1941, le projet idéologique de la nouvelle institution est clairement affiché. À l’instar de celui des universités de Prague (créée en 1939) et de Poznań (créée en 1941), il est d’intégrer, à travers la formation universitaire, la population du territoire conquis au nouveau Reich à la fois allemand et national-socialiste. En ce qui concerne l’Alsace, l’entreprise ne devrait pas poser de problème majeur puisque, selon le pouvoir national-socialiste, la population est considérée comme « Volksdeutsche », comme faisant partie du peuple allemand, libérée d’une domination étrangère grâce à la « grande guerre allemande pour la liberté ». Lors de l’inauguration de l’université, le ministre de l’Éducation du Reich, Bernhard Rust (1883-1945), déclare :
L’université allemande de Strasbourg ouvre une fois de plus ses portes. La très ancienne tribu des Alémaniques alsaciens possède à nouveau une école supérieure où l’esprit allemand lui parle dans sa langue, l’allemand. La Reichsuniversität de Strasbourg s’ouvre à nouveau à toute la jeunesse allemande qu’elle attire à elle par les forces magiques du passé. (Reden und Ansprachen 1942, p.7)
Pour Rust, l’Alsace est ramenée à sa famille, elle retourne à sa patrie d’origine. Il faut donc en expulser tout ce qui y reste de français et lui enseigner sa « vraie » nature allemande. L’université doit, d’après le SS-Obergruppenführer Reinhard Heydrich, l’un des principaux responsable de la Shoah, devenir « une université ancrée dans son espace », triom¬phant « de l’esprit de l’ouest » et faisant « grandir l’idée d’empire » ([…] im Raum verankerte[…] Reichsuniversität […], die den westlerischen Geist zu überwinden und den Reichsgedanken zu stärken hatte » (cité d’après Kettenacker 2005, p.89)).