Chapitre 4 : Une science politisée – le dieu Wotan-Odin comme roi sacré d’une race créative et dynamique
Otto Höfler considérait que la démarche scientifique doit être à la fois scientifique et politique. Le 3 août 1938, il écrit ainsi à Wolfram Sievers, directeur du SS-Ahnenerbe :
Vous savez que je considère la séparation existante aujourd’hui entre science politisée et science fondamentale comme étant la source de tous les maux. La première traite les preuves scientifiques d’une telle manière qu’elle donne à ses productions une vie extrêmement courte, à tel point que, finalement, au bout de quelques années seulement, ces preuves contredisent la théorie. La seconde en revanche, la science « fondamentale », fait passer le temps en s’occupant de futilités. […] Une troisième orientation à la fois concrète et touchant à l’essentiel doit pourtant être possible.
Dans son œuvre, il cherche à démontrer que les Germains n'étaient pas des barbares, mais des « porteurs d’une grande histoire ». Ce sont les Germains qui auraient posé les fondations de l’Europe contemporaine :
C’est justement sur l’œuvre due à la puissance créatrice de la période pré-germanique que repose aujourd’hui encore le système politique européen. Ce ne sont pas seulement les grands États germaniques comme l’Allemagne, l’Angleterre, la Suède, la Norvège et le Danemark qui sont issus de ces siècles passés, mais aussi la France et la Russie qui portent aujourd’hui encore le nom d’anciennes fondations de l’empire germanique. (Hoefler 1939, p.1).
Selon Höfler, les Germains ont été des constructeurs, des maîtres en politique. Depuis leur apparition sur la scène européenne, ils auraient en effet montré qu’ils étaient des créateurs de civilisation et d’histoire, en l’absence de toute soumission à l’influence romaine.
Quand ils avaient adapté le nom d’une institution romane, ce n’était qu’en en raison de sa réputation. Par exemple, l’institution médiévale du César serait devenue une institution profondément germanique, avec ses propres symboles, comme la Sainte Lance. Höfler décrit cette lance comme un « ancien symbole du culte germanique » (altgermanisches Kultsymbol) et le symbole divin de souveraineté de l’ancêtre roi Wodan-Odin » (das göttliche Hoheitszeichen des Königsahnherrn Wodan-Odin). En effet, pour comprendre la forme et la force occulte de la version germanique de l’État, il faut, selon Höfler, analyser le culte de « Wodan-Odin ». En utilisant le nom à la fois allemand et scandinave du dieu, Höfler souhaite souligner le fait qu’il s’agit pour lui des deux versions d’un même dieu, des deux expressions d’un même culte et d’une même culture. Dans cette culture, Wodan-Odin est un dieu lié à la mort, mais aussi à l’avenir.
D’après Höfler, son culte est centré sur l’expérience de la communauté des morts et des vivants au sein d’un groupe. Le groupe puise sa force formative (Bildungskraft) dans l’expérience de l’éternité du groupe grâce à ses membres : l’individu ne devient membre d’un grand corps collectif qu’à condition de vivre et d’être prêt à se sacrifier pour lui, dans le souci du bien de tous. Il apparaît ainsi comme le contraire de l’individu moderne, incapable de concevoir sa responsabilité à l’égard des générations futures, car inconscient du lien qui le rattache aux générations passées. « Après nous le déluge », la formule qu’aurait employée un roi de France et qui rompt le lien entre passé et avenir, est, selon Höfler, représentative de cet individualisme moderne. Le Germain, lui, est à la recherche de l’éternité historique, une conception dominée par le culte de Wodan-Odin en tant que roi sacré :
En lui se manifeste une humanité qui franchit les barrières de l’individualisme et se sent intégrée dans une totalité plus grande, plus large, une unité politique qui dépasse l’individu, non seulement dans le présent, mais aussi dans le passé et le futur […]. Les Germains ont puisé en eux-mêmes les forces et les formes qui étaient nécessaires à la réalisation victorieuse de ces tâches, et c’est pour cette raison que l’avenir historique leur a appartenue. (Hoefler 1939, p.16)
Il n’est pas difficile de voir ici des parallèles avec l’idéologie nazie. Même si ce n’est pas dit explicitement, il est sans doute évident pour son auditoire que Höfler évoque une forme sociale identique à celles de l’État et de la société nationaux-socialistes et que Wodan-Odin trouve son incarnation dans Hitler.